Gustave Herpin. Qui était son père ? D'où vient sa fortune ?


Dans la présente page, on est très loin de la philatélie... Mais dès qu'on s'intéresse à la biographie de Gustave Herpin, on se pose immédiatement deux questions peut-être liées entre elles : 1) qui était son père ? 2) quelle était l'origine de sa fortune ?
Questions difficiles, y compris pour les descendants actuels qui ne savent pas.

Gustave Herpin était né de père inconnu, et portait donc le nom de sa mère. Comme sa mère, qui était d'origine modeste, était déjà devenue "rentière" lors de la naissance de Gustave, puis qu'il a mené grand train avec ses achats de collections, tout en ne travaillant pas, il a fallu que de l'argent arrive, a priori par le père. Puisqu'il faut essayer de mettre un nom, la famille a supposé un prince Murat, piste ensuite abandonnée pour Gaspard Gourgaud (1783-1852), le mémorialiste de Napoléon, et grand coureur de femmes :

Et il y a un gros hic : Gourgaud a quitté Sainte-Hélène et Napoléon pour aller en mai 1818 directement en Angleterre (Plymouth, et Londres) puis, expulsé par les Anglais, s'est installé à partir de novembre 1819 en Allemagne (Hambourg, puis Francfort), pour n'être autorisé à revenir en France qu'en mars 1821. Or Gustave Herpin a été conçu en avril ou mai 1819, Gourgaud était donc en Angleterre... On peut élargir la question, et se demander qui était le père de Joachime, la sœur de Gustave. Le même père, ou un autre ? Joachime, née en mars 1815, a donc été conçue vers juin 1814. Là, par contre, Gourgaud était à Paris.

(*) Après recherches, Gourgaud habitait à partir de 1830 au 24 ou 26 rue Joubert. Les beaux-parents de Gustave Herpin (et donc sa future femme) ont été voisins de Gourgaud puisqu'ils habitaient en 1845, lors du mariage de Gustave, au 33 rue Joubert. Et il semble que Gourgaud connaissait le beau-frère de Gustave Herpin, Albin Fabre, tous deux polytechniciens et militaires dans l'artillerie. Mais rien de plus, pas de lien évident entre les habitations de Gourgaud, d'avant ou après 1830, et celles de Clémentine Herpin (Andelys, rue Meslée, rue La Vrillière, passage St-Philippe).


La question du père : la piste Bourmester

Février-mars 2013. Suite à mes recherches aux Archives Nationales et aux Archives de Paris, je pense avoir élucidé l'énigme du père. Euh... désolé... ce père est beaucoup moins prestigieux que Gourgaud.

Le père de Gustave Herpin et de sa sœur est très probablement un certain Joachim Tobie Bourmester (Hambourg 1764 - Belleville 1853), nom qui peut aussi s'écrire Burmester. Cet homme, 25 ans plus âgé que Clémentine Herpin, est initialement tailleur, puis négociant, puis rentier. Il est marié depuis 1792 et restera toujours officiellement marié à Anne Marguerite Kutsch d'origine alsacienne (Westhoffen 1764 - Belleville 1856), dite Kutschin, avec laquelle il n'a pas eu d'enfant. Rappellons que Belleville, où ils sont décédés, est une des anciennes communes qui seront annexées à Paris en 1860.

Beaucoup trop de coïncidences et de liens entre les Herpin et Bourmester pour que ce soit dû au hasard :

  1. Il se prénomme Joachim Tobie. Les deux enfants naturels de Clémentine portent justement ces prénoms, Joachime et Tobie...
  2. Il verse une rente viagère de 1800 francs/an aux Herpin, du 1er janvier 1820 (donc quelques jours avant la naissance de Tobie Gustave) jusqu'au décès de Clémentine, c'est-à-dire pendant 38 ans. Il verse cette rente d'abord au tuteur de Joachime (Dr Dominique Pagès Bézian, Paris, qui sera aussi témoin au mariage de Joachime), puis à Joachime directement, puis à Clémentine après le décès de Joachime. Le tuteur et Clémentine lui avaient initialement versé 20 000 francs en décembre 1819, en retour il leur reverse 9% de cette somme par an, un taux très généreux. Pendant les cinq ans après son décès jusqu'à celui de Clémentine, la rente continue à être versée.
  3. Il déménage du 3 rue Chapon pour habiter dans l'immeuble 6 rue La Vrillière où Clémentine vit avec ses enfants, et qu'elle a acheté en 1820 juste après la naissance de Tobie Gustave. Il est très officiellement un des locataires de Clémentine, il paye ainsi 400 francs/an en 1833.
  4. En 1838, il achète au cimetière du Père Lachaise une concession perpétuelle immédiatement voisine de celle où est enterrée Joachime, achetée cinq ans plus tôt par Clémentine : 23ème division, numéro de cadastre 119 pour Bourmester et 120 pour Herpin. Il semble toutefois que sa concession n'ait pas été utilisée, reprise libre de corps en 1990, et qu'il ait été enterré ailleurs.


Les deux concessions perpétuelles Herpin de 1833 et Bourmester de 1838
sont directement voisines au Père Lachaise (document Archives de Paris)

Assez peu de doutes sur le père de Gustave Herpin !


La question de la fortune : les pistes Bourmester, famille, et plus-value immobilière

Bourmester versait donc cette rente de 1800 francs/an aux Herpin à partir de 1820, plus ensuite son loyer de 400 francs/an. Il est fort possible qu'il les ait davantage financé pendant sa vie. En effet, le couple Bourmester est riche : Mme Bourmester laisse une très grosse succession de 238 000 francs lorsqu'elle décède en 1856, trois ans après son mari. Le couple Bourmester est sans postérité officielle. Le testament de Mme Bourmester, fait cinq mois après le décès de son mari, demande à distribuer sa fortune à 25 personnes ou bonne oeuvres différentes, Herpin n'y figurant pas. Le plus récompensé par Mme Bourmester est Alexandre Edmond Labour (1807-1887), le vice-président du Tribunal de Première Instance de la Seine, avec plus de 80 000 francs. Que s'est-il passé entre Mme Bourmester et M. Labour ? Mais bon, on s'éloigne des Herpin, revenons-y.

La richesse de Clémentine et Gustave Herpin ne vient pas seulement de Bourmester. Comme on va le voir, elle vient aussi des familles Herpin et Pignel, puis d'une grosse plus-value faite avec la vente de l'immeuble de la rue La Vrillière, très bien situé face à la Banque de France, Paris 1er.

En 1820, alors que Gustave vient de naître, Clémentine n'est pas assez riche pour pouvoir acheter 80 000 francs cet immeuble de quatre étages, avec boutiques au rez-de-chaussée. Elle obtient l'aide de la famille. Ainsi la tante maternelle de Clémentine, qui s'appelle Madeleine Constance Parquet, veuve d'Eloi Clément, propriétaire à Gournay en Bray, lui fait quelques jours avant l'achat une belle donation de 40 000 francs, à la seule condition de l'utiliser pour cet achat immobilier. Clémentine achète donc, et devient usufruitère de l'immeuble, c'est-à-dire rentière en touchant les confortables loyers : par exemple un des locataires, M. Decourt, lui paye 4 275 francs/an(**). Clémentine donne la nue-propriété à ses deux enfants, Joachime 5 ans, et Gustave qui a seulement 6 mois. Après le décès de Joachime en 1833, Clémentine reprend la nue-propriété de la moitié de l'immeuble.

En 1844, Clémentine et Gustave décident de vendre l'immeuble aux enchères. Une excellente opération : l'immeuble est vendu 300 800 francs, alors qu'il avait été acheté 80 000 francs, une énorme plus-value ! C'est de cette vente que provient la majeure partie de la fortune des Herpin.


Résultat de la vente, paru le 29 mars 1844 dans Affiches Parisiennes, journal d'annonces judiciaires et légales.

En 1845, quand Gustave se marie, il peut faire un bel apport : 150 000 francs en liquide, et 10 000 francs en meubles et biens. C'est sûr, suite à la vente de son immeuble l'année précédente, il est riche ! Sa femme a de son côté une dot de seulement 6 000 francs, MAIS les parents de sa femme (Pignel-Fabre) s'engagent à leur verser 100 000 francs dans les cinq années qui suivent, et à leur verser dans l'intervalle une rente de 4% de cette somme, donc 4 000 francs/an. Le couple est donc très à l'aise.

En 1858, décès de Clémentine, la mère de Gustave. Elle laisse un héritage d'une valeur de 23 603 francs, dont Gustave hérite pour moitié. L'autre moitié allant aux soeurs de Clémentine et à une nièce de Clémentine.

En 1868, mariage de Mathilde, la fille unique de Gustave. Toujours riche, il lui constitue une très belle dot de 100 000 francs. Côté Hélain, la dot est de 50 000 francs.

Voilà. Avec tout ces faits officiels passés devant des notaires parisiens depuis 1820, la fortune des Herpin devient beaucoup moins mystérieuse !

(**) Il n'y a pas de document indiquant la totalité des loyers des années 1820 ou 1830. Mais en 1853 le propriétaire de l'immeuble reçoit un total de 14 910 francs de loyer, ça devait être proche pour Clémentine.
(***) Comment estimer la valeur du franc germinal du XIXème siècle ? Difficile d'avoir un équivalent exact en euros. Disons 1 franc XIXème = environ 4 euros pour les achats courants .
On peut aussi se baser sur l'équivalent or. Un franc germinal = 0,3g d'or. Comme 1g d'or vaut actuellement environ 40 euros, cela ferait 1 franc XIXème = environ 12 euros.
Mais cela donne une mauvaise idée d'une richesse. Par exemple l'immeuble rue La Vrillière vaut beaucoup plus que ces équivalents mal taillés.


© Christian Boyer, http://www.christianboyer.com/philatelie